Un témoin du XVIIIe siècle

Il y a des objets qui traversent le temps en laissant leur empreinte. Le Rockley Still, alambic à repasse en cuivre forgé vers 1780, en fait indéniablement partie. Ce géant, aujourd’hui reconnu comme le plus ancien alambic en cuivre à repasse de rhum encore en fonctionnement, distillait déjà à l’époque de Mozart. Une architecture brute, moulée dans le sable barbadien, avec un cuivre épais de 9 mm – une rareté dans un monde où l’épaisseur standard n’excède pas plus de 3 mm.

Resté inactif pendant plusieurs décennies sur les terres de la Stade's West Indies Rum Distillery, le Rockley a finalement été sauvé de l’oubli. Il aura fallu la conviction d’une équipe et plus de 2 000 heures de travail réparties entre la Barbade et la France pour qu’il reprenne vie.

Tout commence par un voyage vers Cognac. Expédié pour inspection, le verdict tombe : malgré son âge et les marques du temps, le Rockley peut être restauré. La partie basse, d’origine, est conservée. Mais son col de cygne, pièce essentielle orientée vers le bas pour capturer les arômes les plus lourds, doit être entièrement recréé.

S’appuyant sur des recherches historiques encore en cours – menées par Andrew HassellAlexandre Gabriel et l’historien David Wondrich – un nouveau col de cygne est façonné, ou plutôt une trompe d’éléphant tant sa forme est singulière. Le cuivre utilisé provient de l’ancienne distillerie de l’Antenne à Javrezac, recyclé dans une démarche à la fois durable et symbolique.

L’ensemble est remis en forme à la main par Gaylord Urbain, chaudronnier et responsable de l’atelier de chaudronnerie de Maison Ferrand. Martelé au marteau et contre-marteau, comme au XVIIIe siècle, un savoir-faire entièrement préservé et réalisé en interne. 

Une architecture au service du goût

Au-delà de son esthétique puissante et unique, le Rockley incarne une manière de distiller aujourd’hui presque oubliée. Sa structure dense, ses rivets martelés à la main, sa porte d’accès ajoutée dans les années 1830 pour faciliter la maintenance : chaque détail raconte une époque où l’on construisait pour durer.

Mais ce sont ses performances aromatiques qui fascinent le plus. Le Rockley produit des rhums texturés, riches, avec des notes phénoliques, iodées et estérifiées, amplifiées par de longues fermentations. Un profil “lourd” assumé, pilier du style barbadien, encore différent des acidifications extrêmes du style jamaïcain.

Une fierté partagée

L’inauguration officielle du Rockley Still s’est tenue en présence de Mia Amor Mottley, Première ministre de la Barbade, saluant un moment “pour tous les travailleurs”. Un hommage rendu aussi par Anderson “Digger” Skinner, ouvrier depuis 45 ans à la distillerie :

“Mon père (lui même employé par la distillerie pendant plusieurs décennies) m’a toujours parlé du Rockley avec des étoiles dans les yeux. Le voir fonctionner à nouveau est un rêve devenu réalité.”

C’est cette émotion partagée qui place aujourd’hui le Rockley au rang des “stars” de la distillerie, aux côtés du Old Gregg (1850) et du John Dore #88.

Et comme aime le rappeler Digger, avec un éclat de fierté dans la voix : “Les Français ont la Joconde au Louvre, nous avons le Rockley à la Barbade.”

Authentifié  lors de sa venue à la Barbade par David Pym - créateur et propriétaire des alambics John Dore - comme le plus ancien alambic de rhum encore actif au monde, le Rockley n’est pas seulement une relique : c’est une promesse. Celle d’explorer des signatures aromatiques rares, de célébrer une histoire vivante. Et s’il devait un jour inspirer un embouteillage dédié, ce serait sans doute pour rappeler combien la tradition et l’innovation avancent ensemble.